« La langue de travail est une langue à la laquelle, on attribue un statut légal dans un Etat ou une organisation, comme moyen principal de communication.
L’écriture est un moyen de communication qui représente le langage, à travers l’inscription de signes sur des supports variés. Elle se définit aussi comme une représentation de la parole et la pensée par des signes graphiques conventionnels. » selon Wikipédia
Le choix d’une langue de travail, a toujours des conséquences avantageuses ou désavantageuses, dans le développement économique et social d’un pays. En premier lieu, si elle émane des populations majoritairement concernées, et second lieu, si elle résulte du maintien et la perpétuation d’une domination étrangère. Il s’agit par exemple de l’arabe dans les pays magrébins comme l’Algérie, le Maroc et la Libye, du swahili en Tanzanie en 2024, du mandarin en République Populaire de Chine, du turc en Turquie, du perse en Iran. Par contre plus de 90% des pays africains ont adopté les langues (anglais, français, portugais) des anciens colonisateurs. Il existe un clivage important entre ces deux catégories de pays en termes de développement global. Cette analyse comparative fera l’objet d’une note ultérieure.
La langue de travail, est un vecteur stratégique essentiel, dans l’édification d’un Etat moderne, en conformité avec les aspirations de l’ensemble des citoyens d’un pays. Elle contribue à la construction et la consolidation de l’unité nationale, autour d’une vision commune de paix, de stabilité, de coexistence pacifique d’individus ou de groupes d’individus, de développement global au bénéfice de l’ensemble des populations, sans distinction de race, d’ethnie, de religion et de culture. Son efficacité repose sur la possession et la maitrise de la langue et l’écriture par la grande majorité de la communauté nationale.
Pour y parvenir, le choix de la prééminence d’une langue sur les autres dans un espace géographique partagé, relève de la volonté et le courage politique des gouvernants. Les autres langues deviennent ainsi des langues de communication. C’est le dénominateur commun à toutes les grandes nations quel que soit le régime politique. C’est le cas de l’anglais aux Etats Unis, du français en France, du russe en Russie, du mandarin en Chine, du turc en Turquie (par l’abandon de l’arabe comme langue de travail), de l’arabe dans les pays arabes, du japonais au Japon, l’Inde, etc. Et pourtant, il existe dans chacun de ces pays une dizaine, voire une centaine de langues vivantes. Elles s’écrivent et se lisent avec l’écriture de leurs langues de travail. Elles sont devenues de véritables langues de communication, d’épanouissement et d’amélioration du bien-être des personnes dans ces territoires.
Les politiques ont été confrontés souvent à d’importantes résistances de la part de certaines minorités. C’est le cas dans l’ex union des républiques, socialistes soviétiques, où Staline appartenant à une minorité ethnique, a imposé le russe. Aux usa, malgré la présence massive d’espagnols, de portugais, français, d’italiens, de germaniques, et autres, l’anglais a été imposé. Si l’empire Ottoman (Turquie) avait conquis de vastes espaces en orient, il a été culturellement conquis par les pays arabes occupés. En effet, la Turquie avait pour langue de travail l’arabe. En chine, le parti communiste n’a pas fait de dentelles pour l’adoption du mandarin, en dépit de l’existence d’une multitude de langues. L’Inde actuellement le plus peuplé du monde, devant la République populaire de Chine est un cas d’école. En effet, Mahatma Ghandi le père de l’indépendance, à son retour de Grande Bretagne, a décidé de faire de deux langues nationales des langues de travail. Sa décision s’explique par le fait que, chacune de ces deux langues était parlée par quatre cent à cinq cent millions d’individus. Ici, ceux qui ont pris la relève après le départ du colonisateur anglais, ont mené d’innombrables actions de sabotages au sein des administrations publiques et même du secteur privé, pour mettre en échec l’initiative. Des centaines de milliers de candidats volontaires seront formés à l’écriture locale et la lecture dans les deux langues de travail. Ils prendront progressivement et définitivement tous les postes dans les administrations publiques. Ceci a été déterminant dans l’ascension de ces pays dans les domaines, économiques, politiques et culturels.
A l’analyse, toutes les grandes nations ci-dessus citées trouvaient à juste raison, impossible, de disposer de ressources humaines et financières suffisantes, pour octroyer le statut de langue de travail à toutes leurs langues locales.
Qu’en est-il de l’Afrique le berceau de l’humanité ?
L’Afrique, notre continent a subi plusieurs siècles d’esclavage arabo berbères et trois siècles d’esclavage occidental. La colonisation, connue pour le travail forcé, l’acculturation, la déculturation, l’exploitation et l’abatardissement des indigènes, reste encore vivace dans nos mémoires collectives. Le néo colonialisme et l’impérialisme survenus dans la période des indépendances, ont marqué et continuent d’affecter la vie de plus d’un milliard de personnes.
La grande majorité des pays du continent se classent dans les derniers rangs de l’indice du développement humain durable, plus d’un demi-siècle après leur accession à l’indépendance.
Cette situation non viable résulte de la réussite éclatante des colonisateurs dans l’imposition et l’adoption de leurs langues dans l’ensemble des secteurs de l’éducation, tout en leur conférant un statut officiel et langue de travail. Il s’agit du français, de l’anglais et du portugais. Le mimétisme juridique et institutionnel, et l’assimilation portés par les élites dirigeantes, sont et demeurent des facteurs bloquants, à toutes les perspectives de développement durable dans les pays d’Afrique subsaharienne, notamment au Sahel.
Ces langues étrangères visent à perpétuer, la domination et l’exploitation de nos pays, au détriment de nos populations très meurtries par les mauvaises gouvernances politiques et économiques. La grande majorité des populations africaines, notamment au sud du Sahara, ne savent ni lire, ni écrire dans ces langues étrangères. Ceux qui ont la chance d’intégrer le système éducatif, passent entre 9 à 12 ans en apprentissage des langues des anciens colonisateurs, et seulement 2 à 6 ans pour une formation professionnelle.
Ces importantes communautés nationales sont perçues et traitées comme des illettrées ou analphabètes. Les personnes dites « instruites » constituées de diplômés et cadres, tant dans les secteurs publics et privés, moins nombreux, représentent une classe de privilégiés, en termes d’accès à l’information et autres domaines de la connaissance. Les colonisateurs sont partis pour mieux restés, car la relève est assurée.
A l’analyse de la situation ci-dessus décrite, la Transition malienne a posé les bases de pistes de solutions.
Les Assises Nationales de la Refondation (ANR) et la problématique des langues nationales
Les Assises Nationales de la Refondation, avec la participation des forces vives de la nation, ont permis l’officialisation de onze langues nationales, par leur reconnaissance et leur adoption dans la nouvelle constitution. Le Bamanankan a été classé première langue nationale du Mali. Ceci n’a fait l’objet d’aucune contestation, et représente une avancée appréciable.
L’adoption de la langue nationale la plus parlée, comme langue de travail s’avère indispensable pour une participation massive et efficace des populations aux efforts de développement national. La mise en exergue du rôle des légitimités traditionnelles dans nos sociétés, peut devenir un véritable point d’appui dans les transformations sociales souhaitées.
Il est financièrement impossible de faire de onze langues nationales des langues de travail. Un courage politique est nécessaire, comme cela a été le cas en Chine, en Inde, en Russie (ex union soviétiques), en France, aux USA, en Algérie, au Maroc, en Egypte, etc. Les autres langues n’ont pas disparu, elles sont devenues des langues de communication. Certes, il faut s’attendre à des résistances, pas des moindres aux changements. En Inde les administrations vont résister. Mahatma Ghandi, a réussi à les remplacer progressivement par ceux qui ont appris à lire et écrire dans une des deux langues locales adoptées comme des langues de travail. Les avantages sont incalculables.
L’écriture NKO et le bamanankan comme langue de travail
Au Mali, le Bamanankan représente la langue la plus parlée (Bamanan, malinké, khassonké, dioula au-delà de nos frontières au Burkina et en Côte d’Ivoire). De même l’écriture NKO est et demeure la seule écriture au monde capable de transcrire toutes les langues sans altération. Elle est aujourd’hui enseignée dans de grandes universités américaines et européennes. Elle offre des possibilités énormes et inimaginables dans les domaines de l’éducation et la formation, de la communication, de l’économie, de la culture et le social.
Les lettres latines utilisées dans le cadre de l’alphabétisation en milieu rural sont très limitées et sans assise culturelle. Cette alphabétisation, depuis une soixantaine d’années n’a pas évolué au-delà des connaissances basiques.
Les promoteurs privés de l’écriture NKO, n’ont pas reçu d’aides publiques, pour réussir à hisser cette écriture à l’échelle internationale. D’apprès ses animateurs (sur la chaine de TV Nieta), Ils ont produit plus d’ouvrages qualitativement et quantitativement plus que le secteur public. De même, les populations s’y reconnaissent culturellement.
La transition malienne est à encourager et à soutenir, pour l’émergence du Bamanankan comme langue de travail et l’adoption de l’écriture NKO
Les rédacteurs de la nouvelle constitution, ont remis à long terme (au moins cinq ans) l’adoption des langues nationales comme langues travail au profit du français. Ils ne se sont pas prononcés sur le choix de la langue de travail, ni proposer l’élaboration d’un plan stratégique.
Il revient aujourd’hui aux organisations et associations de la société civile, intervenant dans le domaine du développement, à élaborer, déployer un plan de plaidoyer auprès du gouvernement.
La langue de travail et l’écriture sont des enjeux déterminants dans le développement des peuples et des nations.
Mamadou Sékou TOURE